Bien que la valeur juridique de la signature électronique soit reconnue en droit français depuis la loi du 13 mars 2000, le chemin de la dématérialisation est encore long face à la force rassurante des habitudes.
Lorsque l’on évoque le sujet de la dématérialisation des échanges, on entend couramment que l’on souhaite privilégier l’utilisation de son ordinateur pour transmettre des documents. A cette occasion, les utilisateurs doivent se garder de tomber dans le piège de la numérisation. Numériser, c’est-à-dire scanner, suppose de continuer à imprimer du papier et à le signer. A l’inverse, dématérialiser, c’est ne plus avoir recours au papier à un quelconque moment.
Sur ce thème, la chambre criminelle de la cour de cassation vient confirmer, dans un arrêt récent, le caractère facultatif de la signature manuscrite d’un mémoire transmis par voie électronique, lorsque l’identité de l’auteur des documents transmis et l’authenticité des documents sont assurés par l’usage d’un moyen de télécommunication sécurisé. Il est notable que ces deux fonctions (identification de l’auteur et garantie du lien entre l’acte et son auteur) sont explicitement énumérées dans la définition de la signature électronique de l’ancien article 1316-4 du code civil, devenu article 1367 en métropole.
En l’espèce, dans une procédure pénale un avocat avait transmis un mémoire à la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Nancy par le biais de la messagerie « e-barreau », mémoire que la juridiction n’avait visiblement pas pris en compte avant de rendre sa décision, reprochant au document de ne pas être revêtu de sa griffe manuscrite.
Ainsi que le relève la Cour de cassation :
12. Pour déclarer irrecevable le mémoire transmis par l’avocat de M. [S] par voie électronique, l’arrêt attaqué énonce que, si un avocat qui n’exerce pas dans la ville où siège la chambre de l’instruction peut adresser son mémoire par télécopie ou via la plate-forme PLEX, celui-ci doit notamment, pour être valable, être pourvu de la signature de la partie ou de son conseil, cette signature pouvant être apposée sur la lettre d’accompagnement du mémoire ne laissant ainsi aucun doute sur l’identité de l’auteur du mémoire.
Explications. Le service « e-barreau » est une messagerie professionnelle sécurisée fournie par le Conseil national des barreaux à tous les avocats. Une clef de signature électronique leur est délivrée, et une adresse mail de type « numéro d’identifiant+nom-prénom de l’avocat@avocat-conseil.fr » leur est fournie afin de permettre aux avocats, et à eux-seuls, de s’identifier et de s’authentifier sur le « réseau privé virtuel des avocats » (RPVA).
La plateforme PLEX, quant à elle, est un service d’échange sécurisés de fichiers volumineux entre les services du ministère de la justice et ses interlocuteurs : avocats, huissiers, experts… en d’autres termes un « WeTransfer » de la justice.
Inutile d’expliquer le sens du mot « télécopie »…
Ainsi, en 2022 soit vingt-deux ans après la définition juridique de la signature électronique, l’utilisation du fax ou d’un site ministériel d’échange de fichiers (pourtant sécurisé) imposait malgré tout à l’avocat d’avoir préalablement imprimé et signé à la main son mémoire, ou un courrier l’accompagnant. Faute pour l’avocat d’avoir utilisé son imprimante, pour la juridiction ce document n’était pas jugé « authentifié ». Ainsi, l’utilisation d’une messagerie officielle et sécurisée (qui remplissait pourtant les conditions légales d’une signature électronique) n’exonérait pas l’avocat de revêtir son document d’un signature manuscrite.
En d’autres termes, pour la juridiction d’appel, une numérisation est un échange « authentifié » : l’auteur doit produire un original manuscrit et en faire une copie numérique, puis l’adresser via une technologie obsolète et non fiable (le fax), ou un peu plus moderne (un site sécurisé).
A la lecture de l’arrêt, on comprend ce qui signifient la force des habitudes et la résistance au changement.
A l’inverse, la Cour de cassation estime -à juste titre- qu’en matière pénale, l’utilisation par l’avocat de sa messagerie sécurisée pour transmettre un mémoire vaut authentification de son auteur et le dispense d’apposer sa signature manuscrite, et annule l’ordonnance de la chambre de l’instruction.
Ce faisant, la haute juridiction consacre, au visa de l’article D591 et D592 du code de procédure pénale, l’abandon progressif de l’usage d’un imprimante lorsqu’on a recours à des moyens d’échanges électroniques sécurisés « valant signature ».